Bernadette et ses petites filles


Cousine de Marie, née en 1987, Sissi n’en a pourtant pas sa timidité. Vive, impatiente, voire colérique, elle se débat inlassablement dans des problèmes d’argent. Son mari auquel on a donné les moyens pour travailler le bois, n’a pas de commande. Après notre visite chez elle, on peut se demander si sa mère, encore alerte pourtant, ne fait pas pression sur elle pour se faire entretenir. Respectueuse de scolariser sa fille Sidonie, née en 2003, comme nous le lui avons demandé, elle se retrouve rapidement sans argent pour payer le loyer et nous rend responsables. Pourtant, comme aux autres, nous lui avons fourni un stock pour démarrer ses ventes mais elle est très vite dépassée.

Nous porterons désormais une attention particulière à la gestion de son budget pour nous rendre compte où est la faille. 

Ce début mars 2012, Sissi me souhaite la bienvenue en m'offrant un panier et un chapeau. Elle ne souhaite pas de formation, elle n'a pas non plus envie de quitter son quartier mais elle est toujours en difficultés. La vente des cartes en papier Anteimoro ne marche plus. Elle souhaiterait un stock de petite épicerie pour améliorer ses revenus et trois jours après, nous accédons à sa demande, répondant à sa bonne volonté. Plus tard nous la croisons dans les rues avec son présentoir de biscuits, bonbons que son mari lui a confectionné.

Août 2012. Sissi apprécie et remercie pour le lot de vêtements dont elle a été destinataire. Elle continue son petit commerce et s'en trouve satisfaite.

De retour à Tana fin septembre, je rencontre Sissi sale en haillons, sans épicerie à vendre et saoule. Nous refusons de lui parler. Elle vient me voir plus tard, toujours aussi sale mais à jeun. Elle explique que son mari est parti, qu'il a tout cassé et que c'est à cause de cela qu'elle n'a plus d'épicerie. Elle dit ne plus habiter où on l'avait visitée. Elle veut de l'argent pour les fournitures scolaires ce que nous refusons. Elle a eu sa subvention augmentée une semaine avant. Elle part furieuse en disant qu'elle ne reviendrait plus.

Fin octobre, nous la retrouvons pour sa subvention. Elle nous raconte une nouvelle version. Elle s'est disputée avec son mari mais ils vivent toujours ensemble, c'est lui le père du bébé qu'elle attend. C'est aussi lui qui vend la petite épicerie. Si elle s'habille mal c'est pour mieux mendier. Sa fille va à l'école proche de chez sa mère et ils ont déménagé pour une maison plus grande au quartier opposé. Ne sachant pas si elle continue à mentir, nous lui donnons la moitié de la subvention, l'autre moitié lui sera donnée en contre partie du certificat de scolarité et lors qu'elle aura un vrai travail, vendre des cartes par exemple (ce qu'elle dit).

Elle n’est pas venue à l’enregistrement radio mais est présente le 17 novembre avec ses filles au rendez-vous pour le dispensaire. Le docteur la trouve en hypertension 19/14 alors qu’elle est enceinte et qu’elle boit visiblement. On peut comprendre que les conditions dans lesquelles elle vit peuvent être insupportables et que son caractère impétueux la pousse à des actes de violence mais nous tentons de lui faire comprendre qu’elle a des responsabilités face à ses deux filles. Nous lui assurons de notre soutien faut-il encore qu’elle fasse sa part pour s’en sortir. Devant le docteur, alors qu’il lui parle d’un autre examen pour s’assurer du bien-être du bébé qu’elle porte, elle se met en colère, veut tout lâcher et part avec tous les papiers. Nous ne l’avons pas revue ce jour là.

 

Avril 2013. Toujours fuyante lors de ma venue à Tana, j'apprends d'Eugénie qu'elle  la voit souvent chancelante dans les rues. Son bébé n'est pas arrivé à terme, elle continue, semble-t-il, son commerce de cartes en papier antaimoro mais je ne l'ai jamais rencontrée.
Elle vient toutefois chercher sa subvention et nous restons vigilantes au devenir des deux petites filles. 


Août 2013. Elle  ne vient que pour les subventions. Pour le moment,

Eugénie l’interroge surtout sur sa santé. Elle essaie toujours de vendre ses cartes et  continue à demander l'aumône un peu partout.


Fin novembre 2013. Sissi, égale à elle-même, n'est volontaire pour aucun changement de sa situation. Eugénie continue à être présente et à l'écoute.

Mai 2014. Lors de notre visite à Manda pour une autre bénéficiaire, la directrice nous apprend que Sidonie est toujours présente, elle mange chaque jour à l'école publique d'Ampasanimalo. Elle est en CE1 mais n'a pas de bons résultats aux deux trimestres précédents.

9 mai 2014 Sissi est venue nous rencontrer. Il semble qu'elle aille mieux. Elle essaie toujours de vendre des cartes Anteimoro mais elle nous dit que son mari ne veut pas qu'elle travaille. Il vend des chaussures. Elle ne boit plus

23 mai 2014 Elle nous rejoint à l'hotel et nous parle de son enfance. Vivant avec ses parents et 5 frères et soeurs, dans une maison dans le même quartier où elle vit maintenant, elle a été envoyée à 10 ans dans les rues d'Antanarenina pour mendier. Son père était gardien dans un quartier à l'opposé et alcoolique, il est décédé. Sa mère et les enfants quittèrent la maison et vinrent dans la rue à partir de ce moment là.

Elle promet de nous apporter le certificat de scolarité la semaine suivante même si nous avons appris par la directrice de Manda que Sidonie est bien scolarisée dans l'école voisine.

Novembre 2014.

Sissi est toujours égale à elle-même, avec des hauts, des bas. Elle affirme qu'elle vend toujours de la vanille et ses cartes postales mais pas plus qu'Eugénie, que moi-même l'avons rencontrée le faisant. En tout cas, nous savons qu'elle a un toit, ses enfants sont scolarisés et sa subvention lui assure un minimum.

 

Août 2015

Aux dires d'Eugénie, Sissi semble en meilleure forme mais est toujours aussi secrète sur ses activités.

Février 2016

En visite à Manda, on apprend que Sidonie n’est plus chez eux depuis plus d’un an. Si l’absence de scolarité se confirme pour ses 2 filles, on s’interroge sur le fait de ne plus donner sa subvention à Sissi. L’interrogation subsiste, nous n’avons pas pu rencontrer Sissi lors de mon séjour.

Fin mai 2016

J'apprends par Eugénie le décès de Sissi, elle n'a pu se relever de toutes ses difficultés. La mère de Sissi est venue solliciter Eugénie pour de l'aide, elle vit dans une maison minuscule et ne peut pas héberger ses petites filles. Ensemble elles cherchent une solution pour la rentrée scolaire.

Mars 2017
 
Finalement nous décidons de donner la subvention à la mère de Sissi qui garde près d'elle les deux enfants.

Novembre 2018

Bernadette, la grand-mère, héberge ses deux petites filles mais la maison est très petite : un couloir sans fenêtre, le sol en terre battue. De même que Patrick, compte tenu de sa charge, nous augmentons la subvention de Bernadette et l'invitons à trouver une autre maison.

Janvier 2020

Bernadette a trouvé une maison capable de recevoir ses deux petites filles. Pour gagner un peu d'argent et payer son loyer, elle fait des courses pour les autres.